Je m’interroge. Je préviens, ça va piquer. 

Ça va piquer les yeux ? Possible.  

Ça va piquer le cul-cul ? Fort probable. 

J’entends ce mouvement de grève. J’entends la colère, j’entends la crainte, j’entends la fatigue. 

J’entends que quel que soit notre âge, 25 ans, 35 ans, 45 ans, 55 ans, on nous demande de penser à nos vieux jours paisibles quand bien même on n’arrive pas à apaiser notre présent. 

J’entends qu’au nom d’une soi-disant solidarité pour tous les travailleurs, une minorité bloque tout un pays. 

Mais les « travailleurs » pour vous grévistes c’est quoi ? Les salariés qui travaillent dans un bureau de 9h à 17h et se liment les ongles à la pause déjeuner ?

Pour moi les travailleurs, c’est une force vive et bien plus complexe et puissante que ce que vous pouvez imaginer : 

Oui, c’est cet employé de bureau, du secteur privé ou du secteur public, qui travaille à un bureau, devant son écran, inlassablement de 9h à 17h. 

Cet employé de bureau peut être heureux, taper sur l’épaule de son collègue, boire un café toutes les 2 heures et mettre l’ambiance à l’heure du déjeuner. 

Mais cet employé peut aussi arriver à son bureau avec le trouillomètre à 0, craindre de perdre son boulot et subir les colères de son manager.  

Ce travailleur ça peut être ce pompier qui sauve des vies, cette infirmière qui soigne et accompagne, ce militaire dont la vocation est de défendre un pays, ce policier qui nous protège (enfin, ça c’est leur rôle 1er).

Ce travailleur, ça peut être cette femme qui a pris tous les risques possibles pour créer une entreprise, cet artisan qui travaille avec passion ou cet indépendant qui ne vit plus que pour ses clients.

Voilà en quelques mots ce que moi j’entends par « travailleurs » et j’expose les choses le plus simplement possible car l’ère est à l’immédiateté et à la paresse intellectuelle.

J’arrive enfin à la réflexion qui m’a poussée à tapoter sur mon clavier ce matin :

Depuis quelques jours j’entends les mots « grèves », « droits », « retraites », « salariés », « travailleurs » et « solidarité« .

Depuis quelques jours je comprends que la grève est un moyen de pression sur le gouvernement pour gagner une guerre sur la réforme des retraites.

Depuis quelques jours, je ne vois, n’entends que des personnes qui vont travailler et se retrouvent fortement emmerdées.

Depuis quelques jours et jusqu’à hier soir.

Oui hier soir, une amie de Marseille m’a appelé en pleurs. Son père est hospitalisé à Paris. Une infirmière l’a appelé : elle doit venir vite, il s’en va.

Je vous passe la discussion entrecoupée de pleurs, d’une femme qui savait qu’elle allait en chier pour espérer rejoindre la capitale dans les meilleures conditions et le plus vite possible.

Suite à cette discussion, ce ne sont plus les travailleurs qui occupaient mes pensées, mais les usagers des transports publics.

J’ai pensé à ces usagers des transports publics qui sont des patients qui se rendent à leur rendez-vous médical, ces parents qui rejoignent un proche malade, ces jeunes et moins jeunes qui vont à un entretien d’embauche, ces personnes qui doivent passer un examen … la liste est longue, faites-vous plaisir.

Et là, je me dis que la solidarité des uns s’arrête là où commence celle des autres. Ou plutôt que la solidarité des uns s’arrête là où la liberté de circulation des autres est mise à mal.

Quant à toi, membre du gouvernement, qui pourrait éventuellement sourire à la lecture de ma missive (dans l’éventualité où elle te parviendrait) : je sais bien que nous ne vivons pas dans les mêmes sphères et que nous ne nous mouchons certainement pas avec le même papier. Je me doute bien que ton père mourant, tu aurais sûrement une solution rapide et peu couteuse (aux frais de l’Etat, suivez ma pensée…) pour rejoindre son chevet, mais sache que mon amie n’aura pas eu cet espoir.

Alors, je suis peut-être naïve, mais j’ose espérer qu’un jour, le mot « solidarité » rejoindra le mot « humanité » et ce quelle que soit la position de l’homme qui le clamera.

Sincèrement,

Audrey