Mais pourquoi m’a–t-il planté sa fourchette dans la bouche ?

Mon regard traduit-il la profonde incompréhension dans laquelle je suis plongée ou au contraire reflète –t-il la féministe qui dort en moi et qui est à quelques millièmes de secondes de lui coller une gifle dont il se souviendra très longtemps ?

Malcolm était mon mentor. Aucune ambigüité, pas de sourire carnassier de sa part, pas de yeux de biche de mon coté. Nous passions plusieurs heures par jour à débattre, je l’accompagnais à des déjeuners, bref il m’avait peu à peu introduite dans le monde des affaires. Il me traitait comme son égal et de toute évidence souhaitait me hisser vers le haut. Il semblait même être investi d’une mission au point de vouloir inventer ma vie, pourtant bien remplie, et je ne l’avais pas attendu pour ça.

Pour quelles raisons des personnes qui ont un comportement irréprochable dans un cadre professionnel peuvent –elles dévier avec une stupidité digne d’un préadolescent dès qu’elles ont franchi les portes d’une pseudo relation amicale ?

Ce doit être le syndrome de l’homme d’affaires. Un syndrome malheureusement très répandu qui veut que l’homme d’argent et de pouvoir oublie respect et bases de l’éducation.

Lorsque Malcom m’a invité à un diner entre amis à son domicile, j’étais plutôt optimiste. Si j’avais su les surprises qui allaient suivre, je me serais abstenue.

L’accompagner à l’épicerie avait été un supplice. Supplice parce qu’à mes questions sur les autres invités je n’eus le droit qu’à des bruits de bouche. Supplice parce qu’un regard vers le panier à moitié vide et la seule bouteille de vin rouge déposée, j’avais rapidement conclu que le diner entre amis serait un tête à tête. En l’espace de quelques minutes j’avais perdu mon sourire.

Les mâchoires serrées, je ne cessais de me répéter « Goujat….goujat ….goujat ». A tel point que lorsqu’il me demanda si je souhaitais du fromage, spontanément je lui avais lancé « Goujat ! euh non…goudat ! Oui je veux bien du goudat ! ». Il avait feint de ne pas avoir entendu et se dirigeait vers les caisses quand je l’avais vu accélérer son pas pour y arriver avant une autre cliente ! Et il en était fier ce con ! Puis il avait aussi jugé inutile d’être poli avec la caissière, et s’était contenté du minimum vital : « Bonjour, carte de crédit ».

J’étais à ce moment-là passablement énervée et sur mes gardes.

Le moment le plus perturbant fut surement l’arrivée à son appartement. Des livres de motivation personnelle – et je les nomme ainsi pour être aimable, déposés sur sa table basse ne m’avaient pas franchement rassurée.

photo manuels

Douloureusement installée à table, et effectivement en tête à tête, mes jambes étaient tournées vers l’extérieur, prêtes à partir. Malcolm semblait avoir oublié les fondements d’une discussion à deux, ce qui me mettait mal à l’aise. Il coupa le silence pour me demander si je souhaitais gouter sa salade, ce à quoi je répondis d’un air médusé « Mais nous mangeons la même chose Malcolm ». Ma bouche était surement restée trop longtemps ouverte puisque c’est à ce moment là que cet abruti décida d’y plonger sa fourchette.

Et c’est ainsi que je quittais la table dans un geste majestueux d’envoi de serviette couplée à une gifle en murmurant « Si vous ne connaissez pas les bonnes manières, priez pour avoir de bons réflexes. » (Billy Crystal)

Les bonnes manières...
Les bonnes manières…