Nous y étions enfin : tous les trois installés à une table, à l’extérieur du French Market, sous les premiers rayons de soleil. Le ristretto que je tenais dans mes mains faisait frémir mes narines et je m’amusais du sourire de Yolanda alors qu’elle dégustait le sien. Regard d’acier quant à lui, se contentait d’un jus d’oranges fraichement pressé.
Regard d’acier…je ne devrais plus l’appeler ainsi. Quel manque de respect ! Il avait dorénavant une identité et une histoire bien à lui, qu’il partageait avec ses nouvelles amies.
De son vrai nom Tim Mac Cornick. Origines irlandaises. Quarante ans. Héritier d’une marque de bourbon. Membre des alcooliques anonymes. A atteint le pallier numéro un : admettre qu’il était impuissant devant l’alcool. Sa devise : si la première étape convient, s’en contenter. Style vestimentaire : porte toujours un complet trois pièces à 5.000 dollars, un cigare posé dans la poche de la veste. Comportement général : silencieux. Ne parle que lorsque cela est nécessaire. Il donne l’impression de peser ses mots. Inutile donc de l’inviter en soirée pour mettre de l’ambiance ou occuper votre grande tante. Signe distinctif : cicatrices sur la joue gauche. Ben voyons. Mon opinion : porte un lourd secret.
A sa droite était assise Yolanda Carpeti. Origines siciliennes. Cinquante-deux ans. Venue directement à Chicago à sa majorité, à la demande de sa grand-mère sur son lit de mort. Un mystère plane autour de cette requête. Sa devise : chacun sa vérité. Style vestimentaire : robe noire, talons compensés. Foulard sur les épaules, sac à main porté au coude. Comportement général : tout ce qui caractérise une mama italienne. Signe distinctif : étrange ressemblance avec Teresina Capone, mère d’Al. Rien que ça. Mon opinion : porte un lourd secret. Elle aussi.
Et moi. Française depuis au moins sept générations. Trente ans. Nouvelle expatriée à Chicago. Fiancée. Rien à signaler. Ma devise : pas de regrets. Style vestimentaire : tellement française ! Comportement général : solitaire sociable, personnalité ambiguë à l’empathie démesurée qui aime être entourée pour ensuite se terrer. Signe distinctif : aucun. Je pense. Mon opinion : je préfère m’abstenir.
à suivre…
Audrey Lisquit 