Il y a quelque chose d’assez perturbant et presque hypocrite à changer de vie. De parisienne noyée dans la masse, locataire d’un studio au confort discutable, j’étais devenue la petite française à Chicago, objet de toutes les curiosités.
Et inciter la curiosité à quelque chose de positif : à défaut d’être entourée par un cercle d’amis, j’étais assurée d’échanger plus de mots qu’à l’accoutumée avec des inconnus. Comme avec « Regard d’acier ».
Les jours passaient, la fin du mois de mai approchait, mes journées ressemblaient étrangement à celles d’une desperate housewife…sans l’amitié : je visitais la ville, décorais l’appartement, apprenais de nouvelles recettes de cuisine, dépensais de l’argent dans des boutiques et réussissais à développer quelques phrases.
Nous venions de nous installer, Joshua et moi, dans un grand appartement au 840 North Lake Shore Drive. Trois chambres et quatre salles de bain. Un balcon longeait le salon et offrait une vue sur le lac Michigan et les gratte-ciel. Magnifique. A l’intérieur comme à l’extérieur. Et tout cela pour deux personnes, dont une en déplacement trois jours sur sept. Magique. Et ridicule. Bref.
Mes moments d’euphorie, ceux au cours desquels je pouvais avoir une vraie discussion, c’était évidemment avec Joshua. Alors, il faut bien l’avouer, je l’épuisais : nous passions en revue mes péripéties dans la ville et je lui montrais une à une chacune de mes nouvelles acquisitions : de la tasse à l’effigie d’Al Capone à la petite culotte Victoria’s secret.
Et Joshua était autant disponible qu’il était malin : pour s’occuper de l’appartement, et je le soupçonnais, pour prendre soin de moi, il avait recruté une gouvernante, Yolanda. Trente secondes avaient suffi pour que je tombe sous son charme et en l’espace d’une matinée, nous étions devenues amies.
Yolanda était un petit bout de femme tout en rondeur, au sourire attendrissant et aux yeux rieurs. Une vraie mama italienne qui vous serrait fort contre sa poitrine en vous tapotant le dos, puis vous éloignait en vous tenant par les épaules et vous regardait droit dans les yeux pour vous demander votre humeur.
Yolanda était profondément humaine, empathique et positive. Elle avait vécu des drames, des douleurs mais elle avait la pudeur de ne pas les dévoiler. Son passé lui appartenait et le présent était son avenir.
Chaque matin nous prenions notre café sur le balcon, dans les tasses à l’effigie d’Al Capone, profitant des premiers rayons du mois de mai. Puis nous partagions quelques taches ménagères tout en papotant, et nous partions ensuite à la conquête de la ville. Toutes deux européennes et ne parlant pas couramment anglais, nous nous comprenions sans aucune difficulté.
Surtout, Yolanda avait très vite adhéré à mon fantasme mafieux et je dois bien l’avouer, elle m’épatait jour après jour…
A suivre…